Certains intellectuels louaient Ben Ali en échange de somptueux cadeaux. Au lieu de se faire discrets, ces mercenaires de la plume récidivent, car ils ne supportent pas l'avancée démocratique tunisienne. Leur dernière trouvaille mensongère : le Tunisien serait devenu anti-Français, rien que ça.
Les loups se mettent à hurler en cœur. Non, cette fois-ci, il ne s’agit pas des loups islamistes mais des loups français islamophobes. Ceux qui, dès qu’ils voient un musulman, ont mal à la tête. Ceux qui, depuis des années, nous servent la même soupe médiatique : « l’islam politique est insoluble dans la démocratie », « le musulman est un polygame égorgeur de moutons et accessoirement anti-occidental »...
Il est vrai que ces intellectuels français habituels ont cette fois-ci la tache difficile. D’habitude, leur jeu est plus facile. D’habitude, ceux qu’ils critiquent sont vraiment des arriérés que, même le plus musulman des musulmans, n’a pas envie de défendre. Du type « taliban préhistorique », qui vous donne envie de vous sauver en courant lorsqu’ils vous parlent de religion.
Non, là, les islamophobes, cachés sous le masque bienveillant des Droits de l’homme, faussement inquiets de la remise en question des droits de la femme, de la liberté de pensée, de la liberté cultuelle en Tunisie alors que sous Ben ali, grand démocrate comme vous savez, ils étaient silencieux ; ces islamophobes masqués vous disais-je, n’arrivant pas à trouver la faille face à des ennahdistes conciliants, promettant de ne pas toucher le statut de la femme, accusent désormais le Tunisien d’être un extrémiste anti-Français !
Voilà en effet que le Tunisien serait devenu l’ennemi numéro 1 des Français. L’ennemi numéro 1 de la langue française, de la culture française et donc de la France. Ce tunisien qui rêve pourtant, par tous les moyens de venir en France, quitte à traverser la Méditerranée en barque, détesterait la France ? Ce beau printemps arabe s'est transformé ici et là en véritable hiver anti-Francais.
Pourquoi cette nouvelle donne consistant à faire penser que le Tunisien déteste les Français ?
La réponse est toute simple et déjà éprouvée par le passé. Par ce biais, comme on ne plus mettre la pression directement sur Ennahada car il a la légitimité des urnes, on veut mettre la pression sur le peuple tunisien qui mettra ensuite une pression populaire sur Ennahda. Comment ? Tout simplement en incitant le touriste français, l’homme d’affaires français, l’Etat français a ne plus venir ou investir en Tunisie au prétexte que le gouvernement ennahdiste serait devenu anti-Français.
Dans un tel scénario, on sait comment tout cela se termine. L’économie du pays chute, ses dirigeants sont isolés et s’ils n’ont pas beaucoup de pétrole, leur durée de vie est limitée. La pression est telle que l’histoire se finit en coup d’Etat. L’élite économique, de connivence avec l’élite militaire et policière, décide d’écarter l’élément gênant à la bonne santé économique du pays.
Alors, comme ces intellectuels français islamophobes ne peuvent pas liquider Ennahda directement, ils essaient de donner des mauvaises idées. Ces intellectuels préférant sans doute en Tunisie un scénario à l’algérienne plutôt qu’une démocratie englobant des musulmans. Scénario algérien où, pour rappel, l’arrêt du processus démocratique a couté plus de 20 milliards de dollars et a surtout causé hélas plus de 200 000 morts. Scénario qui n’a servi à rien, la force (même si elle silencieuse) aujourd’hui des musulmans algériens étant encore plus forte qu’hier. Semez de la dictature, vous récolterez des islamistes.
Après avoir rapidement parlé du but visé par ces mercenaires de la plume achetable pour un séjour dans un hôtel tunisien, il faut se poser les deux questions suivantes. Y'a-t-il une réalité derrière leur propos, le Tunisien est-il devenu anti-Français ? Mais aussi, est ce que le Français, qui a largement applaudi cette révolution tunisienne, se sent menacé par les événements récents en Tunisie ? Le touriste, le chef d’entreprise, compte-t-il revenir en Tunisie ?
Il y a quelques jours, mon article publié sur Le Cercle Les Echos « La gifle électorale de l’élite autoproclamée tunisienne » m’a agréablement surpris. Plus de 30 000 lecteurs en quelques jours, des milliers de personnes qui ont aimé mais aussi une centaine de mails spontanés pour me parler de la situation tunisienne provenant autant de France que de Tunisie.
Que me disaient les mails venant de France ? Il serait trop long d’en faire la synthèse. Beaucoup de Français me demandaient comment ils pouvaient aider la Tunisie. D’autres venant de Tunisie me disaient qu’il ne voulaient qu’un avenir meilleur dans un état démocratique. Mais le plus important pour moi furent ces mails de Français « de souche » qui rappelaient leur soutien aux Tunisiens et qui montraient qu’ils n’étaient plus dupes !
La transcription d’un ou deux mail parlera plus que mille phrases. A vous de juger.
Un homme politique français de premier plan m’a écrit « que toutes les élites tunisiennes n’étaient pas pourries mais que c’est vrai que [lui] et d’autres ont fermé les yeux en Tunisie sous Ben Ali. [Qu’il] regrettait son inaction, et que désormais il fallait accepter le verdict librement exprimé des urnes qui n’est [pour lui] que le fruit de l’anti-islamisme primaire radical qu’il y a eu en Tunisie pendant des années (...) et que tout en étant vigilant sur Ennahda, [il] avait confiance en la jeune démocratie tunisienne qui est irréversible…».
Cet homme politique français qui, pour moi, jusque-là qu’un des profiteurs du système Ben Ali dit-il qu’il a désormais peur du tunisien, sent-il un sentiment anti-français ?, dit-il qu’il ne reviendra pas en Tunisie ? Je le laisse répondre « Je vais désormais aller plus souvent en Tunisie et irai cette fois-ci plus librement et sereinement à la rencontre de ce magnifique peuple qui a montré la voie aux autres peuples arabes de la région…. ».
Un autre Français, chef d’entreprise, m’écrit : «Votre article sonne juste parce que c’est une réalité. Je connais bien la Tunisie et j’y possède deux entreprises. Nous autres Français aurions dû moins fermer les yeux. Sous prétexte d’une menace islamiste gonflée, à laquelle certains journalistes français ont largement contribué, nous avons laissé faire un terrible dictateur….J’ai certes peur pour les femmes tunisiennes avec Ennahda mais je sais d’un autre coté que les Tunisiens ne sont pas extremistes. Il faut respecter leur choix, ne répétons pas les mêmes erreurs que pour l’Algérie… J’aime la Tunisie et je veux que ce pays réussisse (...), et comme le système mafieux est parti, je compte davantage développer mon activité…. ». Ce chef d’entreprise exprime-t-il qu’il ressent, avec ces élections tunisiennes, un sentiment anti-Français à son encontre ?
Plusieurs autre mails de militants politiques français m’ont demandé comment ils pouvaient faire pour soutenir la démocratie tunisienne car ils étaient admiratifs devant le peuple tunisien. Certes, certains, comme le chef d’entreprise sont inquiets pour le statut de la femme. C’est une réalité qu’il ne faut pas nier. Mais aucun Français, que ce soient dans ces mails, ou parmi la dizaine que que je connais en Tunisie, n’a pour projet de revenir en France car il se sentirait menacé, ou estimerait que ces élections avec Ennahda allaient transformer la Tunisie dans un mauvais sens.
Vous voyez chers intellectuels français, le Français n’est pas dupe. Il sait qu’on l'a trompé sur la menace islamiste que l’on a amplifié la peur pour soutenir Ben Ali. Il sait que l’élection d’Ennahda en est directement la conséquence. Il ne tombera pas dans le nouveau piège que vous tendez en disant maintenant qu’il y a une menace anti-Française chez le tunisien. Les Français en France ou en Tunisie savent qu’en Tunisie ils sont chez eux et font la part des choses. Ils comprennent qu’il faut laisser le temps à la jeune démocratie tunisienne de s’installer. Ennahda est neuf et a une virginité politique, car il n’a jamais été confronté à la dure réalité de l’action politique. Les autres partis sont encore jeunes. Un ré-équilibrage aura rapidement lieu, Ennahda aura moins de succès, et l’exagération que vous soutenez aura été un mauvais calcul.
La deuxième question à poser est : est-ce que le Tunisien, lui, aime vraiment le Français ? Est ce que le Tunisien n’est pas devenu un extrémiste anti-occidental ? Il y a tellement de choses à écrire sur le sujet que je n’aurai pas assez de place pour le faire.
Par exemple, comment beaucoup de Tunisiens connaissent par cœur l’ouvrage « Notre Ami Ben Ali » et le nom de son auteur, Nicolas Beau. Un « Nicoulas Bou » comme l’appelle un familier tunisien et qui est tellement apprécié que je suis sûr que toutes les maisons de Tunisie s’ouvriraient à n’importe quel moment de la journée s’il s’y présentait pour y boire un thé.
appelons-nous comment, lui, journaliste français s’indignait des abus du régime Benaliste quand, d’autres journalistes – même parmi les journalistes Tunisiens installés en France -, passaient de la pommade à Ben Ali en méprisant les souffrances des tunisiens.
Lui et d’autres qui, au temps des pires moments de la Tunisie, ont relevé la tête en montrant que la France s’intéressait aux Droits de l’homme partout dans le monde. Lui et ces autres Français, les Tunisiens ne leur seront jamais assez reconnaissant pour avoir critiqué le régime de Ben Ali. Les Graciet, Turquoi, Boltanski, Gesseir, Beaugé, et beaucoup d’autres qui ne m’en voudront pas de ne pas les citer.
Si les tunisiens sont déçus par les flatteurs français de Ben Ali qui voyaient en lui un grand « démocrate cultivé », ils aiment la France car il savent que la France ce n’est pas qu’eux. La France, ce sont ces milliers de militants associatifs, politiques, syndicalistes qui, allaient le week-end soutenir des militants des droits de l’homme qui manifestaient devant les consulats tunisiens.
J’étonnerai peut-être certains lecteurs en rapportant une discussion que j’ai eu avec un cadre d’Ennahda qui a vécu longtemps en France. A un moment de l’échange, alors que nous parlions de la position de la France sur la révolution tunisienne et que je lui demandais s’il n’était pas déçu du comportement de certains ministres français au moment où les jeunes Tunisiens (début janvier 2011) se faisaient tuer, il me surpris par quelques phrases sortis du cœur :
« Tu sais, quand on a fui la Tunisie dans la précipitation il y a 20 ans, on a trouvé refuge avec nos familles, ici, en France. Crois le ou non, il n’y avait aucun Tunisien pour nous soutenir. On était des pestiférés dans la communauté. Les Tunisiens avaient tellement peur de Ben Ali qu’ils changeaient de trottoir quand ils nous voyaient. Je te jure, on organisait des réunions pour sensibiliser les Tunisiens sur la torture de Ben Ali et dans la salle il n’y avait aucun arabe. Il n’y avait que des Français, pas un seul Tunisien ! Je n’oublierai jamais le soutien de ces frères français, politiques, enseignants, syndicalistes qui auraient pu se dire, on en a rien à faire des problèmes de ces Tunisiens, mais qui, parce qu’ils aiment les Droits de l’homme, nous ont aidés. Pour moi, c’est ça la France. C’est pas ceux qu’on voit tout le temps à la télé qui nous sortent toujours la même chose sur l’extrémisme islamiste… ».
Ces Ennahdistes, que ces intellectuels essaient de montrer comme ennemi de la France, n’oublient pas que, pour une grande majorité d’entre eux, ils ont été reçu en France et qu’ils lui sont redevables de les avoir accueillis.
Qui ne sait pas par aussi que des dizaines d’opposants tunisiens à Ben Ali, comme Marzouki, sont venus souvent en France quand leur vie était menacé en Tunisie. Tous les Tunisiens le savent et c’est pour cela qu’ils aiment la France au delà de vous, intellectuels que vous êtes, qui avez bénéficié des largesses de Ben Ali en Tunisie en ignorant la détresse de tout un peuple.
Ce que je dis n’est pas de la darbouka (paroles flatteuses) pour les Français dont je suis, mais pour vous dire que ce ne sont pas vos petites techniques communication subversives qui détisseront ces puissants liens. Les Tunisiens aiment les Français et ne confondent pas quelques profiteurs avec un pays et un peuple ami.
Comme je vous le dis, je pourrai écrire des pages et des pages sur les liens forts qui unissent nos deux pays. Je ne m’étalerai pas ici sur les centaines de milliers de Franco-Tunisiens qui vivent et aiment leur pays, la France. Certains de ces Franco-Tunisiens, travaillant, comme vous le savez si bien, dans l’armée, la police ou les services de renseignement français.
Ce que demande le Tunisien, ce n’est ni el'xcuse française, ni le soutien inconditionnel. Ce qu’il demande c’est qu’on le laisse décider seul de sa destinée. Ce qu’il demande, c’est un partenariat dans le respect mutuel. Ce qu’il rejette, c’est toute nouvelle forme de colonisation. Même si vous êtes de mauvais intellectuels, vous êtes à même de comprendre que ce que demande le Tunisien est que sa destinée politique ne se décide plus dans les salons feutrés d’un chancellerie occidentale.
Ce qu’il ne souhaite plus, c’est qu’une élite soit disant éclairée, que vous soutenez parce qu’elle vous faisait profiter de généreux séjours à Tunis, s’accapare toutes les richesses de la Tunisie. N’importe quel peuple refuse ce type de colonisation. Refuser cela ne veut pas dire ne pas aimer la France. Bien au contraire, c’est aimer encore plus la France et les Français. Car la France, celle qui me permet de m’exprimer aujourd’hui, représente cet idéal démocratique, cet idéal égalitaire entre les citoyens, cet fierté de vivre dans un pays libre au service de son peuple, dont le Tunisien aimerait enfin pouvoir profiter.
(Si j’écris cet article, c’est aussi à l’adresse de mes compatriotes tunisiens. Il ne faut pas tomber dans le piège des provocations de quelques politiques ou pseudo intellectuels français qui regrettent le régime de Ben Ali. Ces politiques ou intellectuels ne représentent pas tous les Français comme j’ai tenté de l’expliquer plus haut. Tant dans nos écrits, blogs, journaux et déclarations, nous devons avoir le sens de la mesure pour ne pas blesser et inquiéter des français amis qui admirent le peuple tunisien pour ce qu’il a réalisé. Merci)
Fonte: le cercle
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