Le 14 janvier à 14h40, le Lieutenant-Colonel Samir Tarhouni, qui dirige la Brigade anti-terroriste (BAT), est dans son bureau. Il reçoit un appel téléphonique d’un collègue chargé de la sécurité des avions à l’aéroport Tunis/Carthage. Il l’informe que c’est étrange mais de nombreux membres des familles Trabelsi et Ben Ali sont dans l’aéroport pour prendre des avions et quitter le territoire.
L’appel est totalement innocent et n’a d’autre objectif que l’information.
Samir Tarhouni est alors avec des collègues officiers dans son bureau qui le voient se prendre la tête entre les mains et se balancer d’avant en arrière sur son fauteuil. Samir leur dit : « je crois que nous allons regretter ce moment toute note vie » et il leur fait part de l’appel qu’il vient de recevoir.
L’un de ses collègues lui dit qu’il faut réfléchir avant d’agir alors que les autres lui répondent que « c’est le moment ou jamais ».
L’instant où tout bascule
Le L-Colonel Samir Tarhouni prend la décision, sans aucune instruction, d’appeler ses hommes pour préparer deux véhicules pour réaliser une mission. Ces véhicules portent l’inscription « Brigade d’Intervention Rapide ».
Il s’est passé 5 minutes depuis l’appel de l’aéroport. Il est 14h45 lorsque Samir Tarhouni accompagné de 11 hommes quitte la caserne de Bouchoucha. Par le plus grand des hasards, il se trouve que l’épouse du L-Colonel travaille à la tour de contrôle de l’aéroport et qu’elle est justement à son poste. Il l’appelle pour lui demander s’il est possible de retarder le départ des appareils au décollage. Elle lui répond que le retard ne peut pas dépasser 15 minutes. Samir Tarhouni espère que ce temps sera suffisant pour atteindre l’aéroport et demande à sa femme d’appliquer la procédure de retard s’il la rappelle.
Il n’aura pas besoin de le faire car les routes étant totalement dégagées, les deux véhicules arrivent à l’aéroport à 14h55 soit dix minutes après leur départ de Bouchoucha.
Les 12 hommes sautent des véhicules cagoulés et armés et font une entrée spectaculaire dans l’enceinte de l’aéroport. Tarhouni appelle alors par téléphone le responsable de la sécurité de l’aéroport, Zouhair Bayati. Voici le dialogue entre les deux hommes :
ST : « Tu as des Trabelsi ? »
ZB : « Où es-tu ? »
ST : « Je suis devant toi. Où sont les Trabelsi ? J’ai des instructions. »
Zouhair Bayati indique que les Trabelsi sont dans le salon d’honneur (qui s’ouvre directement sur les pistes de l’aéroport).
Les 12 hommes de la BAT entrent dans le salon où se trouvent seulement 3 Africains. Ils se précipitent sur les pistes et neutralisent des membres des clans Trabelsi/Ben Ali qui allaient monter dans un bus. Mais 3 personnes s’enfuient, un jeune de 15 ans que la BAT laisse partir et 2 adultes arrêtés dont Sofien Ben Ali.
En l’espace de quelques minutes, les hommes de la BAT réussissent à arrêter 26 personnes qu’ils enferment dans le salon d’honneur.
Deux avions sont en instance de décollage ; le premier de Tunisair et le second de Alitalia. Les hommes de la BAT braquent leurs fusils laser sur les pilotes et co-pilotes pour les obliger à s’arrêter. Les avions sont inspectés mais aucun membre des familles Trabelsi/Ben Ali ne sont à bord et les avions peuvent décoller.
Devant ce spectacle, Zouhair Bayati est totalement hébété et, en fin psychologue, Samir Tarhouni lui dit « Ne joue pas avec le feu ! Ce sont les instructions. Où sont les autres ? » Zouhair Bayati lui avoue alors que Moncef Trabelsi est dans son bureau.
Les hommes de la BAT se rendent dans le bureau de Bayati où ils trouvent Moncef Trabelsi sous le bureau, une arme à la main. Moncef Trabelsi est neutralisé et son passeport et son téléphone en plus de son arme sont confisqués.
27 personnes sont à présent enfermées dans le salon d’honneur.
Samir Tarhouni est resté aux côtés de Zouhair Bayati qui reçoit un appel d’Imed Trabelsi. Samir Tarhouni lui dit de le rassurer. Zouhair Bayati dit alors à Imed Trabelsi « Ne porte pas de vêtements voyants et pas de voiture tape-à-l’oeil ! ». Imed Trabelsi lui répond qu’il est déjà arrivé à l’aéroport. Les agents de la BAT trouve Imed Trabelsi avec sa secrétaire et l’arrête.
A 15h20, soit en 35 minutes, la situation à l’aéroport est totalement maîtrisée et 28 membres des familles Trabelsi/Ben Ali sont arrêtés.
La panique au Palais de Carthage
A ce moment, Ali Seriati, encore au Palais de Carthage, appelle Zouhair Bayati mais c’est Samir Tarhouni qui lui répond. Il se fait rassurant afin de laisser venir d’autres membres des familles Trabelsi/Ben Ali. Seriati lui demande de qui il tient ses instructions. Tarhouni lui répond « D’en haut ». C’est à ce moment que Zouhair Bayati comprend que Tarhouni n’a reçu aucun ordre et il décide de prendre la fuite.
Dans le Palais présidentiel, Seriati crie « La BAT nous a trahi ! ». La confusion est à son comble.
L’officier responsable de la sécurité présidentielle appelle Tarhouni pour avoir plus de précisions. Ce dernier lui répond : « Viens nous joindre si tu es un homme, viens ici ! ». L’officier prend cette phrase pour une menace et en informe Seriati.
Non seulement, la tension monte encore mais également la peur.
Seriati est le premier responsable de la sécurité du Président Ben Ali. Devant la situation extrêmement confuse et n’en possédant pas tous les éléments, son raisonnement, comme le confirmera les faits et ses propres dires, semble le suivant : prendre en compte le pire des scénarios mais aussi le plus logique compte-tenu de la situation connue, à savoir :
- la BAT tient l’aéroport et y a arrêté de nombreux membres des familles Trabelsi/Ben Ali ;
- c’est une rébellion qui menace la Garde présidentielle :
- les hommes de la BAT sont particulièrement entraînés pour les attaques par hélicoptères, or, les hélicoptères sont parqués à L’Aouina à côté de l’aéroport. La BAT peut s’en saisir et attaquer le Palais.
C’est à cet instant que Seriati donne l’ordre de tirer si un hélicoptère approche du Palais et de le « descendre ». Et le Président Ben Ali et sa famille se préparent à quitter le Palais…
Retour à l’aéroport
Durant l’heure qui suit la maîtrise de l’aéroport, Tarhouni commence à recevoir des appels du ministère de l’Intérieur. « Que faites-vous ? A quoi jouez-vous ? ».
Tarhouni appelle 18 de ses hommes qui étaient à la caserne de Bouchoucha.
Tarhouni appelle également, à 16h20, en renfort les Brigades d’intervention rapide (BIR).
La tension est palpable lorsque Jalel Boudriga, directeur général des brigades d’intervention, téléphone à Tarhouni pour mettre la pression en lui demandant s’il s’agit d’un coup d’Etat ou d’une trahison !
Pendant ce temps, Tarhouni constate des mouvements au niveau de la caserne militaire de l’Aouina. Il craint une éventuelle attaque et décide, à 16h35, de demander des renforts à la 2ème Brigade de Tunisie, l’USGN (Unité spéciale de la Garde nationale) en prévenant qu’il a arrêté les Tranbelsi/Ben Ali. L’USGN accepte d’intervenir. C’est une grande première car la BAT et l’USGN ne se sont jamais rencontrés.
A 16h50, l’USGN et la BIR arrivent à l’aéroport. La BIR encercle l’aéroport pendant que l’USGN (40 hommes) entre dans l’aéroport afin de porter main forte aux 30 membres de la BAT.
Un bain de sang évité
Alors qu’à 17h00, les 70 hommes de l’USGN et de la BAT sont réunis dans l’aéroport, 2 autres unités spéciales entrent dans la caserne de L’Aouina. Si ces unités s’étaient confrontées, un vrai bain de sang en aurait découlé. Ce ne fut pas le cas. L’armée et les Unités spéciales ne bougèrent pas de la caserne.
Jalel Boudriga se rendit à la même heure à l’aéroport pour rencontrer Tarhouni. Sa seule réflexion fut : « Samir, tu m’as égorgé » et il repartit.
Quelques instants plus tard, Tarhouni reçut un nouveau appel du ministère de l’Intérieur. Avec l’USGN du coté de la BAT, le ton de l’appel a changé. Il disait, en substance, « Bravo, vous avez arrêté les Trabelsi/Ben Ali ! Nous envoyons une équipe pour les prendre en charge ». A partir de ce moment, Samir Tarhouni refusa de répondre aux appels incessants du ministère de l’Intérieur. Il n’a plus confiance.
A 17h57, l’avion présidentiel décollait, de la caserne de L’Aouina, pour l’Arabie Saoudite avec à son bord, outre le Président Ben Ali, son épouse Leïla Trabelsi, leur fils, leur fille et leur futur gendre.
Dix minutes plus tard, Ali Seriati est arrêté par l’armée. Un commandant chargé de la sécurité du Président, le Commandant Sami SikSalem, tente d’appeler Seriati, sans savoir qu’il a été arrêté, pour avoir des instructions.
Le Commandant SikSalem décide alors de contacter Mohamed Ghannouchi et Foued Mebaaza et les oblige à appliquer la Constitution ; c’est à dire l’article 56. Ben Ali n’est plus président.
A 18h00, Tarhouni convoque la télévision tunisienne pour filmer les personnes arrêtées.
A 19h10, une première déclaration de la BAT est émise. La BAT demande à l’armée l’envoi d’un convoi pour la prise en charge des 28 membres des familles Trabelsi/Ben Ali.
A 19h30, l’armée envoie un Colonel, un Capitaine et un minibus avec chauffeur pour cette prise en charge. La télévision est présente et filme l’ensemble de la scène.
Les bagages des 28 personnes arrêtées sont tellement importants que, non seulement, le minibus ne suffit pas mais qu’il faut y ajouter un camion de l’armée ainsi qu’une voiture de la BAT afin de tout transporter !
Fonte: tunisienumerique
Nessun commento:
Posta un commento