Coupera-t-on bientôt la mains des voleurs à Tripoli ? Depuis que Moustafa Abdeljalil, président du Conseil national de transition (CNT), a déclaré que la principale source de la législation libyenne serait la charia, l'Occident n'est plus qu'interrogations et inquiétude : et si on s'était trompés ? Et si en chassant Kadhafi, on avait fait place aux coupeurs de main ?
Du calme, rassurent les spécialistes du droit musulman contemporain. L'instauration d'une constitution inspirée par la religion n'est pas une surprise. La Libye est un pays musulman, très conservateur. Les révolutionnaires libyens ont d'ailleurs fait référence à la charia dès le mois d'août.
Le chercheur en sciences politiques Saïd Haddad rappelle que la législation libyenne est basée sur le code islamique depuis 1994 et que le risque d'une application maximaliste de ses principes semble incertain :
« Les islamistes font et feront partie de la scène politique libyenne ; les Frères musulmans étaient une force d'opposition mais pour l'instant rien ne présage une dérive islamiste. »
Une « concession faite aux islamistes »
Dans la déclaration constitutionnelle du CNT souligne que « l'islam est la religion, la charia islamique est la source principale de la législation » et que « l'Etat garantit aux non-musulmans la liberté d'entreprendre leurs rituels religieux ».
Pour l'islamologue Eric Chaumont, cette « concession faite aux islamistes » ne sera pas forcément appliquée :
« C'est exactement comme en Egypte où c'est le code Napoléon qui est appliqué alors que l'article 2 de la Constitution affirme que les principes de la charia sont la source principale de la législation. »
Au Soudan, un code ; en Egypte, de grands principes
La charia, littéralement la « voie » en arabe, n'est ni un livre, ni un code, ni un ensemble de règles figées. Il n'existe pas un contenu ou un guide écrit. Baudoin Dupret, directeur
du centre de recherches Jacques-Berque, à Rabat, au Maroc, explique :
du centre de recherches Jacques-Berque, à Rabat, au Maroc, explique :
« La charia, c'est la normativité, le référent normatif pour les croyants musulmans. C'est une source d'inspiration de laquelle peuvent découler des choses différentes.Par exemple, au Soudan, c'est un code très restrictif. En Egypte, il s'agit de suivre des principes généraux. »
Cela signifie que selon l'interpréation qu'on fait des textes coraniques et de la Sunna(la tradition, une des source de la charia), on peut, certes, lapider une femme au nom de la charia ou, à l'inverse, avoir un code pénal progressiste.
« C'est comme si les juifs n'acceptaient pas le Talmud »
Sous Kadhafi, aucune référence n'était faite à la charia, rappelle Eric Chaumont :
« Kadhafi, dans son “Petit Livre vert”, avait donné une définition très moderne de l'islam. Il n'acceptait que le Coran. Il ne reconnaît pas la Sunna et autres pratiques du Prophète. C'est comme si les juifs n'acceptaient que la Torah mais pas le Talmud. »
Concrètement, que la charia soit désormais la source de la législation libyenne signifie que lorsqu'il s'agira pour le parlement libyen d'adopter des lois, il faudra que ce soit en conformité avec la loi islamique. Jusqu'à quel point ? Pour Baudoin Dupret, il est impossible de prévoir le contenu que donneront les dirigeants libyens à la charia :
« Il pourra être rétrograde comme progressiste… La composition du CNT ne donne pas d'indication sur la direction idéologique qu'ils vont prendre. Abdelajalil, président du CNT, est l'ancien ministre de la Justice de Kadhafi, connu pour ses idées conservatrices, je ne suis pas sûr qu'il ait une conception très progressiste de la charia. »
La présence d'anciens djihadistes au sein de la résistance libyenne a posé question. Saïd Haddad :
« Oui, il y a des anciens djihadistes, dont Abdlehakim Belhaj [nouveau gouverneur militaire de Tripoli, ndlr]. Certains viennent du Gicl, le Groupe islamisque de combat libyen qui a mené une lutte armée contre Kadhafi dans les années 90. De là à ce que ça se traduise par un rapport de force politique en leur faveur… ce n'est pas encore clair. »
Bientôt, « des intellectuels capables de faire avancer le pays » ?
L'organisation même de la société libyenne, en tribues, dénote un grand conservatisme :
« La société, contrôlée pendant quarante ans par Kadhafi, n'a pas connu de grand développement dans ses capacités intellectuelles et universitaires. Du coup, il n'est pas certain de voir émerger de grands intellectuels capables de faire avancer le pays dans une voie progressiste. »
S'il ne veut pas pécher par optimisme, le chercheur tempère les inquiétudes occidentales :
« La révolution en Libye n'est absolument pas aboutie ; ce qui est abouti, c'est la défaite militaire de Kadhafi, tout est donc imaginable mais ça ne veut pas dire que ce sera le foyer de tous les extrêmismes. Ce n'est pas une surprise qu'un pays arabe, voisin de l'Egypte, annonce s'inspirer de la charia. »
Une référence superflue au Maroc
Alors que la Tunisie, le Maroc et l'Algérie font partie des rares pays où la charia n'est pas mentionnée dans la Constitution. Une référence superflue au Maroc où, selon Baudoin Dupret, le « roi étant commandeur des croyants, le source d'autorité religieuse, lui-même, s'impose dans la Constitution ».
En Tunisie, l'un des pays musulmans les plus progressistes notamment pour les droits de la femme, les islamistes du parti Ennahada, interdit sous Bourguiba et Ben Ali, se sont engagés à ne pas appliquer la charia.
Photo : Nicolas Sarkozy et Moustafa Abdeljalil, le 15 septembre 2011 à Tripoli (Moustafa Abdeljalil/Reuters).
Nessun commento:
Posta un commento